A qui appartiennent les images ?Présentation de l'ouvrage de Sylvie Lindeperg et d'Ania Szczepanska

La couverture du livre "A qui appartiennent les images"

Résumé

Dans nos sociétés « iconophages », l'attrait pour les archives audiovisuelles s'accroît, menaçant parfois l’intégrité des images qui façonnent notre mémoire et nos imaginaires du passé. Leur importance est cruciale, et pourtant elles ne bénéficient pas d’un statut équivalent à celui des archives écrites ; elles ne profitent pas non plus pleinement des protections accordées aux œuvres d’art.
Parallèlement, la révolution numérique modifie en profondeur les conditions d’accès, de circulation et de reproduction des images, posant de constants défis aux institutions chargées d’en assurer la conservation et la communication.
Ainsi, les usages des images d’archives soulèvent des questions politiques et éthiques tandis que leurs coûts freinent l’expérimentation de formes plus innovantes d’écriture de l’histoire dans le cadre de dispositifs pédagogiques et scientifiques.
Parce qu’elles sont entrelacées, ces questions nécessitent une réflexion de fond associant historiens, juristes, philosophes, conservateurs, cinéastes, producteurs… Le présent ouvrage se propose d’amorcer ce dialogue nécessaire en dépliant les questions liées à la conservation, à l’interprétation, à la circulation et aux usages des images d’archives.

Sommaire

Introduction – Sylvie Lindeperg et Ania Szczepanska
Le singulier destin des images d'archives – Sylvie Lindeperg
Des images protégées par le droit ? – Nathalie Chassigneux
Les dilemmes d'une institution d'archives – Xavier Sené
Des archives comme les autres…ou presque – Agnès Magnien
Le documentaire historique à la télévision : les clés de la dispute – Serge Lalou
Le film comme contre-histoire – Jean-Gabriel Périot
Des images sans propriétaire : pour une déontologie des usages – Marie-José Mondzain
Les mots de la "querelle" – Ania Szczepanska

Les auteurs

Sylvie Lindeperg est historienne, spécialiste des relations entre cinéma, mémoire et histoire. Elle a écrit et dirigé environ 15 ouvrages dont Les Écrans de l’ombre, Nuit et Brouillard, Un film dans l’histoire, La Voie des images.

Ania Szczepanska est maitre de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne en histoire du cinéma. Elle a également réalisé le film documentaire Nous filmons le peuple ! consacré à l’engagement politique des cinéastes en Pologne communiste.

Site de l’éditeur


Présentation

Paru en septembre 2017 dans la série Interventions des éditions Maisons des Sciences de l’Homme, le livre A qui appartiennent les images[1], édité par Sylvie Lindeperg, professeure à l’Université Paris I, et Ania Szczepanska, maître de conférences au sein de la même Université, a pour objet « de lancer un débat en confrontant les points de vue et en décloisonnant les horizons professionnels »[2].

Le livre contient une série d’entretiens qui sont complétés par un essai de Sylvie Lindeperg[3] et un texte récapitulatif et critique d’Ania Szczepanska placé à la fin de l’ouvrage, où cette dernière esquisse une série de propositions pour une meilleure gestion des différents problèmes évoqués.

Dans le texte d’introduction, Sylvie Lindeperg évoque plusieurs points que les chercheurs de l’image partagent entre eux, comme par exemple les pratiques tacites provoquées par l’absence de cadre juridique, le coût très élevé des droits de reproduction et surtout le « flou persistant » dont elles souffrent en ce qui concerne leur définition juridique[4]. L’auteur souligne également, et avec raison, que le débat doit aller au-delà la compartimentation des savoirs et des expériences :

Ces questions entrelacées appellent un débat associant différentes professions et disciplines : historiens, philosophes, archivistes, juristes, réalisateurs, monteurs, producteurs, diffuseurs…Ces métiers travaillent sur des objets communs sans partager toujours le même langage ni les mêmes logiques. La compartimentation des savoirs et des expériences produit souvent fantasmes et malentendus. Ces tensions génèrent une demande d’outils théoriques permettant de penser des pratiques en constante évolution : elles rendent nécessaire une réflexion sur le statut des archives. »[5]

Les entretiens

La sélection des interlocuteurs présente un réel intérêt. Rassemblant une avocate (Nathalie Chassigneux), un conservateur (Xavier Sené), un producteur (Serge Lalou), un cinéaste (Jean-Gabriel Périot) et une philosophe (Marie-José Mondzain), spécialiste des images, les entretiens visent à aborder le sujet dans sa globalité, à la fois comme problème social, culturel mais aussi épistémologique[6].

Le thème du droit d’auteur émerge dans toutes les discussions - Serge Lalou le qualifie même de « sujet tabou »[7].

Les éléments qui ont particulièrement retenu notre attention sont :

  • L’inefficacité du droit français à protéger les pratiques et le besoin de mettre en place une catégorie de droits distincts selon le critère de l’usage commercial ou non des images[8].
  • L’absence d’ambiguïté en ce qui concerne l’usage commercial et non commercial dans l’esprit des interlocuteurs.

La discussion avec Marie-José Mondzain, présente un réel intérêt, car ses propos replacent le sujet sur ses propres bases théoriques et reviennent sur des principes épistémologiques que les débats actuels ont tendance à passer sous silence. L’acte d’archivage crée le document d’archive, son indexation et les possibilités de son accès et questionnement, donc d’étude. Ici se situe le point de départ du problème selon la philosophe. Nous nous permettons deux citations particulièrement intéressantes :

C’est à partir des modalités de la préservation que viennent se poser le problème de la propriété des images, de la liberté dont peuvent ou non jouir ceux qui en font un usage cognitif.

Il y a donc un vrai problème de régulation des usages qui se noue autour de deux exigences : le respect dû à l’objet préservé et la liberté due aux usages qu’on en fait. Cette régulation ne relève ni du droit patrimonial ni du droit moral, mais sans doute d’un troisième niveau de régulation qui est celui d’une déontologie. Cela supposerait par exemple la création d’une instance de régulation composée d’archivistes professionnels, d’historiens, d’utilisateurs d’archives et de donateurs ou déposants. Cette instance rédigerait une charte dont elle assumerait la responsabilité. Ce comité serait en charge d’accompagner l’évolution des problèmes posés par l’archivage, les usages et les réemplois des images.

Toute activité professionnelle faisant usage des images d’archives devrait pouvoir jouir du maximum de liberté dans le traitement des images à condition de se soumettre à un code de régulation de ces usages.[9]

La conclusion d'Ania Sczcepanska pose sur la table du débat le besoin d' un code de bonnes pratiques, mais l’auteur précise bien qu’un « décalogue » n’est pas souhaitable. En revanche, elle propose des instances au sein des institutions, de sorte des comités de gestion composés de professionnels représentants de disciplines et de professions diverses qui pourraient être garants d’un nouveau droit moral « qui relèverait des obligations de ceux qui font usage d’un document visuel, et non des prérogatives d’un possesseur »[10]. Autre point méritant notre attention : l’incitation à penser les documents visuels comme bien commun et comme éléments nodaux dans la politique mémorielle d’un pays.

 

L’ouvrage est complété par une sélection bibliographique organisée par thèmes.

 


*La lecture et la présentation faites ici ont été calibrées selon les objectifs du projet Images/Usages. En d’autres termes, nous nous sommes particulièrement attachée à relever les problèmes touchant les chercheurs en histoire de l’art en général. Il s’agit donc d’une lecture fléchée et par conséquent, partielle.

Néanmoins, il nous semble particulièrement important que cet ouvrage soit écrit par de chercheurs qui souhaitent rendre public un débat touchant à leurs pratiques professionnelles. Mettre l’accent sur les contraintes auxquelles sont soumises la recherche et l’écriture de l’histoire dans les arts visuels par les gens directement concernés introduit une voix essentielle et matérialise aux yeux de la société l’importance de ce regard provenant de l’intérieur du domaine.

Certes, ce n’est pas la première fois que des voix pareilles se font entendre.  Il y a onze ans, André Gunthert, Didier Rykner, Jean-Baptiste Soufron, Giovanni Careri et Corinne Welger-Barboza cosignaient l’article « Le droit aux images à l’ère de la publication numérique »[11]. Peu de choses ont changé depuis dans les pratiques concernant les droits de reproduction pour les chercheurs. Mais les voix se démultiplient au jour le jour dans les réseaux scientifiques. Il suffirait de les entendre .

 

Elli Doulkaridou

 

 

 


Notes

[1] Précisons que par « images », les auteurs du livre, toutes les deux historiennes du cinéma, entendent les images filmées dont le statut juridique reste vague contrairement aux archives documentaires ou bien les films cinématographiques, comme elles le précisent dans l’introduction.

[2] P. 21

[3] Le texte de Sylvie Lindeperg est une version enrichie et actualisée de sa contribution au colloque. Il est disponible en ligne ici : https://www.ina-expert.com/e-dossiers-de-l-audiovisuel/le-singulier-destin-des-images-d-archives-contribution-pour-un-debat-si-besoin-une-querelle.html

[4] La prise en charge et la légitimation des sources audiovisuelles butent également sur l’absence d’un véritable statut des images d’archives dont le périmètre demeure mal défini et les frontières poreuses. N’étant pas mentionnées en tant que telles dans les textes de la loi, elles ne bénéficient pas d’un statut équivalent aux archives écrites ni d’ailleurs à celui des œuvres cinématographiques. Ce flou sémantique favorise un flou juridique que la jurisprudence française peine à corriger au fil des procédures. », p. 15

[5] P. 9

[6] « Les dialogues présentés dans l’ouvrage réfléchissent à la conservation et au commerce des archives audiovisuelles ; ils imaginent les moyens de concilier le respect de l’historicité et de la propriété des images avec les libertés nécessaires à la création. », p. 9.

[7] P. 93.

[8] P. 57

[9] P. 116

[10] P. 138. Ania Szczepanska cite ici Marie-José Mondzain, « Des images sans propriétaire : pour une déontologie des usages », p. 109-122.

[11] A. Gunthert, D. Rykner, J.-B. Soufron, G. Careri, et C. Welger-Barboza, « Le droit aux images à l’ère de la publication électronique », Études photographiques, 19, 2006, p. 153‑159. http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/930 (consulté le 14/02/2018).

 

 

 

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